Légumes bio : qu’en pensent les consommateurs en Côte d’Ivoire ?
Zoom sur la recherche
Wadjamsse Beaudelaire Djezou
Maitre de Conférences Agrégé,
Université Alassane Ouattara, LAMPE,
Bouaké, Côte d’Ivoire
Atsé Éric Noel Aba
Maître Assistant, SEG en économie du développement,
Université Alassane Ouattara, LAMPE, Bouaké, Côte d’Ivoire
Martine Audibert
Directrice de recherche émérite CNRS,
CERDI-UCA-CNRS-IRD,
Ferdi, France
Manger bio, un enjeu fondamental pour la santé… mais à quel prix ? Si le maraîchage en Afrique, notamment en zone urbaine, a permis d’améliorer la diversité alimentaire des citadins, son développement s’est accompagné d’un usage intempestif de pesticides non contrôlés faisant peser tant sur les producteurs que sur les consommateurs un risque important pour leur santé. Les actions menées par les Etats pour tenter de maîtriser l’usage des pesticides ciblent essentiellement les producteurs et se sont révélées peu efficaces (Cissé et al., 2003). L’objet de cet article est d’explorer du côté de la demande, en identifiant les attributs des produits alimentaires (légumes), notamment leur caractère bio, qui orientent le choix des consommateurs sur le marché.
Les dangers des produits phytosanitaires¹ sur l’environnement, la santé humaine et la santé végétale sont désormais bien connus (Son et al., 2017). Malgré cela, le système de production maraîchère en Afrique, et notamment en Côte d’Ivoire, est majoritairement un système intensif qui emploie une utilisation irraisonnée de pesticides et engrais chimiques. Bien que les producteurs n’ignorent pas les effets néfastes des produits utilisés sur la santé - puisqu’ils en ressentent les plus directs (démangeaisons, maux de tête, vertiges, vomissements), ils semblent peu enclins à diminuer les doses, bannir les pesticides interdits et s’orienter vers une agriculture plus respectueuse de la santé humaine et de l’environnement. Dans ce contexte, à la fois dominé par la recherche du profit des maraîchers et marqué par les difficultés des Etats à réguler l’utilisation des pesticides, les consommateurs de légumes, face à une potentielle alternative, semblent être passifs.
Qu’en pensent réellement les consommateurs ?
En tant que force du marché, la demande des consommateurs pour les produits alimentaires issus d’une agriculture durable pourrait inverser la tendance dans l’utilisation abusive des pesticides par les maraîchers.
L’idée est que le développement d’une agriculture durable, soucieuse de l’environnement et de la santé, passerait par le vote des consommateurs à travers leurs achats. On sait par ailleurs que les attributs, tant intrinsèques (comme l’aspect, le goût) qu’extrinsèques (comme le label) d’un bien intègrent le processus de formulation de la demande (Bernoussi et al., 2020). Nous avons cherché à vérifier si les attributs des légumes frais recherchés par les consommateurs de Bouaké en Côte d’Ivoire, allaient au-delà de leur couleur et de leur aspect et couvraient le fait qu’ils étaient issus d’une agriculture biologique sans pesticides.
Les habitudes alimentaires des ivoiriens au cœur de notre étude
Nous avons mené une enquête entre octobre et novembre 2019 auprès de 398 ménages, choisis de façon aléatoire dans différents quartiers de Bouaké, ville située au centre de la Côte d’Ivoire.
Outre les caractéristiques socioéconomiques des ménages, les données recueillies concernent la fréquence et les quantités de légumes consommées, le prix d’achat, les dépenses hebdomadaires et le lieu d’approvisionnement en légumes. Les préférences des ménages en matière de caractéristiques des légumes et leurs connaissances et attitudes vis-à-vis des pesticides ont également été recueillies. Pour identifier les attributs des légumes qui sont déterminants dans la décision d’achat et la disposition à payer pour des légumes sans pesticide chimique, nous utilisons une procédure en deux étapes à la Heckman qui permet de contrôler pour le biais de sélection. La première étape consiste à estimer l’inclination à payer pour des légumes sans pesticide, la seconde étape permet d’identifier le prix auquel les ménages sont prêts à payer pour ce type de légumes.
Rôle des attributs et perception du risque
Plus de la moitié (60 %) des ménages interrogés achètent les légumes en tenant compte de leur aspect physique, mais aussi de leur goût. Par ailleurs, les trois quarts des ménages ont déclaré connaître les risques sanitaires liés à la consommation de légumes cultivés sous pesticides. Alors que la production de légumes bio à Bouaké est encore balbutiante et que la consommation de légumes est en pleine croissance, les consommateurs ont montré une disposition à payer plus élevée pour des légumes sans pesticide qu’avec pesticide.
Cette disposition montre que les ménages sont déjà sensibilisés à une agriculture plus respectueuse de leur santé et qu’une offre de produits bio qui se développerait à Bouaké pourrait bien répondre aux préférences des consommateurs. Ce résultat est un signal pour les maraîchers de Bouaké qui pourraient être, à moyen terme, mis en concurrence selon leur capacité à réduire de façon significative l’usage des pesticides chimiques. La hausse de la demande en produits bio permettrait par ailleurs aux maraîchers qui s’engageraient dans une production sans pesticide à réduire leur coût, à diminuer l’épuisement de leurs sols et à devenir de plus en plus concurrentiels sur le marché tant local que régional.
Accompagner les acteurs ?
Pour faciliter cette transition vers une agriculture durable et saine, l’accompagnement des maraîchers sous la forme d’une assistance technique et la sensibilisation de tous les acteurs (producteurs, consommateurs, législateurs), pour une agriculture, non seulement plus saine, mais également plus respectueuse de l’environnement (grâce à la diminution, voire l’élimination des contenants jusqu’à présent recyclés par les ménages en contenants pour l’eau ou l’huile alimentaire ou laissés à l’abandon dans les champs) constituent des actions à privilégier.
¹ Substance chimique visant à protéger les végétaux face aux maladies, ravageurs et autres organismes nuisibles au développement de la plante. C’est le cas des pesticides utilisés en agriculture.
Référence de l’article
Wadjamsse Beaudelaire Djezou, Atsé Éric Noel ABA, Martine AUDIBERT, Inclination des consommateurs à payer pour des légumes frais sans pesticide en Côte d’Ivoire, Economie Rurale 390, Octobre-Décembre 2024, 21-37.
Références
Bernoussi, N., & Sirieix, L. (2020). L’impact des attributs et indicateurs de qualité sur le comportement d’achat d’un produit alimentaire. Une approche exploratoire, par la valeur perçue et l’authenticité perçue. Cas de l’huile d’olive d’Algérie, (No. 914-2020-056),
Cissé, I., Tandia, A. A., & Fall, S. T. (2003), Usage incontrôlé des pesticides en agriculture périurbaine : cas de la zone des Niayes au Sénégal, Cahiers Agricultures, 12(3), 181-186.
Son D., Irénée Somda, Anne Legreve et Bruno Schiffers (2017), Pratiques phytosanitaires des producteurs de tomates du Burkina Faso et risques pour la santé et l’environnement, Cahiers Agricultures, 26 (25005), 1-6.